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Cour de Cassation 26 février 2020 / Manpower, Risque grave, Travailleurs temporaires /

Le 18 mars 2020

" (...) Selon l'ordonnance attaquée, (président du tribunal de grande instance de Nanterre, 1er août 2018), statuant en la forme des référés, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Manpower France (le CHSCT) a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société Feedback (l'entreprise utilisatrice). La société Manpower France a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance et a, devant la Cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'interprétation de l'article L. 4614-12 du code du travail. (...) 

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6 § 4 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

5. L'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 31 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.

6.Selon l'article L. 1251.21 4° du même code, pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l'entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.

7. L'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable, prévoit que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

8. L'article 6 § 4 de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 susvisée prévoit que, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s'informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.

9. Il en résulte une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

10. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21-4° du code du travail. Par conséquent, c'est au CHSCT de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

11. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

12. Pour écarter la compétence du CHSCT de l'entreprise de travail temporaire pour désigner un expert au sein de l'entreprise utilisatrice, le président du tribunal de grande instance retient que les travailleurs temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, et que dès lors le CHSCT de la société Manpower France n'est pas compétent pour décider d'une expertise.

13. En statuant ainsi, alors qu'il était invoqué l'existence d'un risque grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ainsi que l'inaction de l'entreprise utilisatrice et de son CHSCT, ce qu'il lui appartenait de vérifier, l'entreprise utilisatrice devant être mise en cause, le tribunal de grande instance a violé les textes susvisés. (...) "

Cour de Cassation

Chambre sociale

Audience publique du mercredi 26 février 2020

N° de pourvoi: 18-22556

SOURCE : LEGIFRANCE